Vente en ligne : validation de possibles restrictions à la vente sur marketplaces

ADLC, 24 octobre 2018, décision n°18-D-23

L’Autorité de la concurrence, tout en sanctionnant lourdement une entreprise pour avoir interdit la vente en ligne de ses produits par ses distributeurs, valide en revanche la possibilité de limiter la revente sur des plateformes tierces.

Le 24 octobre dernier, l’Autorité de la concurrence a sanctionné d’une amende de 7 millions d’euros la pratique d’un fabricant de produits de motoculture consistant à interdire en pratique la vente de ses produits sur les sites internet des distributeurs.

Elle a en revanche pris une position plus souple s’agissant des restrictions imposées quant à la vente via des plateformes tierces (marketplaces).

> Une condamnation de l’interdiction de vente en ligne imposée dans les faits aux distributeurs

Si la distribution en ligne n’était pas expressément interdite en tant que telle par le fabricant, ce dernier imposait à ses distributeurs une remise des produits en main propre à l’acheteur, ce qui nécessitait dès lors soit un retrait en magasin, soit une livraison en personne au domicile de l’acheteur (alors que cette remise en main propre n’est imposée par aucune réglementation nationale ou européenne), une telle livraison à domicile ayant par ailleurs été freinée par le fabricant jusqu’en 2014.

L’Autorité de la concurrence a ainsi considéré qu’en imposant une telle condition de remise en main propre, le fabricant avait retiré tout intérêt à la vente en ligne pour ses distributeurs et pour les consommateurs, ces derniers n’ayant pas pu pleinement faire jouer la concurrence entre les distributeurs et bénéficier de prix plus intéressants. Certains distributeurs avaient d’ailleurs confirmé qu’ils avaient assimilé cette condition de remise en main propre à une interdiction pure et simple de toute vente à distance.

Selon l’Autorité de la concurrence, cette pratique de restriction de la vente en ligne était disproportionnée en ce qu’elle allait au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver la santé du consommateur et constituait, de la part du fabricant, une entente illicite, contraire aux droits français et communautaire de la concurrence.

L’Autorité de la concurrence a considéré que cette interdiction de vente en ligne ne pouvait bénéficier d’aucune exemption. D’une part, le bénéfice du règlement d’exemption par catégorie applicable aux restrictions verticales n’était pas envisageable, dans la mesure où l’interdiction de vente en ligne s’apparentait à une restriction caractérisée des ventes passives (la présence d’une telle restriction caractérisée excluant automatiquement l’exemption prévue par le règlement communautaire). D’autre part, l’Autorité de la concurrence a considéré que la pratique en cause ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier d’une exemption individuelle.

Dans ces circonstances, le fabricant a été condamné à :

  • une amende de 7 millions d’euros (qui, malgré son montant, demeure peu élevée au regard de l’amende encourue qui s’élevait à près de 380 millions d’euros) ;
  • modifier dans un délai de 3 mois ses contrats de distribution sélective, afin d’y prévoir expressément et clairement la possibilité pour les distributeurs membres du réseau de distribution sélective de procéder à la vente en ligne de tous les produits du fabricant, sans exiger de quelconque remise en main propre ;
  • adresser à l’ensemble des points de vente de son réseau, dans ce même délai de 3 mois, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications ainsi apportées à leurs contrats de distribution sélective ;
  • procéder à la publication de la condamnation dans une publication nationale et deux publications spécialisées.


> L’admission de l’interdiction de vente des produits objets d’une distribution sélective via des marketplaces

A l’inverse, dans la lignée de l’arrêt « Coty » rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 6 décembre 2017 (CJUE, affaire n°C‑230/16), l’Autorité de la concurrence se prononce en faveur de la possibilité pour un fournisseur d’imposer des restrictions à la vente en ligne par l’intermédiaire de plateformes tierces, s’agissant d’un réseau de distribution sélective.

Dans son communiqué de presse, l’Autorité de la concurrence a d’ailleurs pris le soin d’indiquer que la décision avait « vocation à préciser le cadre applicable en France pour les différents secteurs et produits, au-delà du secteur de la motoculture ».

En l’espèce, le fabricant a contractuellement exclu le recours aux ventes sur les places de marché principalement par l’effet de deux clauses insérées dans les accords conclus avec les distributeurs :

  • D’une part, le fabricant impose au distributeur de lui communiquer le domaine de premier niveau de la page Internet sur laquelle il envisage de distribuer les produits (notamment lorsque le nom de domaine du site de vente en ligne ne contient pas le nom ou les marques du fabricant), le distributeur devant alors attendre l’autorisation du fabricant avant de débuter la commercialisation des produits par le biais du site concerné ;
  • D’autre part, le distributeur s’engage « à ne proposer, ni directement ni indirectement (par exemple au moyen de liens hypertextes) de produits (…) à la vente via des URL (adresses web ou Internet) de plateformes d’enchères et de vente ou des places de marché en ligne, telles qu’eBay ou Amazon ».

L’Autorité de la concurrence a estimé que, s’agissant d’un réseau de distribution sélective, cette pratique permet au fabricant, qui n’a aucun lien contractuel avec les plateformes tierces, de s’assurer, de manière à la fois appropriée et proportionnée, que ses produits sont vendus dans des conditions qui préservent son image de marque et garantissent la sécurité du consommateur.

Ainsi, alors que certains s’interrogeaient sur la possibilité de circonscrire la décision « Coty » aux produits de luxe, l’Autorité de la concurrence pose un principe large d’autorisation des restrictions de vente par les marketplaces dans les réseaux de distribution sélective, quelle que soit la nature des produits (sous réserve bien entendu que la licéité du recours à un tel mode de distribution ait préalablement été validée, tous les types de produits n’ayant pas vocation à être distribués dans le cadre d’un tel système de distribution sélective) :

« À titre liminaire, il importe de préciser que l’analyse opérée par la Cour de justice dans l’arrêt Coty susvisé pour la commercialisation en ligne de produits de luxe paraît susceptible d’être étendue à d’autres types de produits. En effet, si la Cour a pris soin de rappeler que son raisonnement s’inscrivait dans le prolongement des principes dégagés par sa jurisprudence antérieure, et notamment l’arrêt Pierre Fabre précité, qui renvoie lui-même à l’arrêt Metro précité, aux termes de laquelle un système de distribution sélective ou une clause particulière d’un tel système peuvent être licites dès lors qu’ils sont nécessaires à la préservation de la qualité et au bon usage des produits concernés, elle n’a pas apporté davantage de précisions sur la nature desdits produits et n’en a donc pas circonscrit le champ d’application, renvoyant cette appréciation au cas par cas. » (point 278 de la décision de l’Adlc).

Cette décisiondevrait ainsi renforcer l’engouement des têtes de réseau pour le système de la distribution sélective, lequel connait un essor depuis déjà plusieurs années du fait de l’encadrement qu’il permet quant aux ventes en ligne.

Il demeurera néanmoins nécessaire pour la mise en place d’un tel système, d’en vérifier préalablement la faisabilité juridique, puisque – comme cela a été précédemment rappelé – le recours à la distribution sélective n’est envisageable que s’il est justifié, notamment par le type de produits concernés.

En particulier, l’accord mettant en place un système de distribution sélective devra impérativement prévoir la sélection des distributeurs sur la base de critères objectifs qui seront à la fois :

  • de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire.

Comme le rappelle l’Autorité de la concurrence dans la décision commentée, « l’appréciation de la nature qualitative des critères de sélection des revendeurs requiert nécessairement l’examen des propriétés du produit en cause, afin de vérifier, d’une part, que celles-ci nécessitent, pour préserver la qualité du produit et en assurer le bon usage, un système de distribution sélective et, d’autre part, qu’il n’est pas déjà satisfait à ces objectifs par la réglementation nationale ».

  • proportionnés, c’est-à-dire n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’objectif poursuivi (tel que les objectifs légitimes de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage, ou encore de garantie de sécurité pour le consommateur).

A rapprocher : Décision n°18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture

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