L’état de la legaltech française post-crise

4ème édition du Baromètre 2020 des Legaltech françaises par Wolters Kluwer et Maddyness

La crise de la Covid-19 n’a pas épargné le secteur grandissant des legaltechs. Elle a en réalité permis l’émergence des acteurs plus matures qui ont su s’adapter et proposer de nouvelles solutions et au contraire conduit à la disparition des start-ups du droit plus fragiles.

Pour la 5e année consécutive le Cabinet Simon Associés a réalisé un Guide de la Legaltech à destination de ses partenaires et clients.

Il en ressort que le marché de la Legaltech est, comme depuis plusieurs années et derrière les Etats-Unis, le deuxième marché au monde en matière de start-up du droit grâce à ses quelques 300 acteurs. Ce dernier est très diversifié, aussi bien en termes de taille, de clients, de services rendus, mais aussi de l’avancement et de la technicité de ces services proposés qui vont de la rédaction d’actes et de documents juridiques au stockage sécurisé des documents en passant par l’analyse de données et de contrats.

Comme nous l’avions déjà écrit en 2019, si ce secteur permet de faciliter l’accès aux services juridiques aux particuliers, à des prix moindres, son but premier est aujourd’hui d’offrir aux professionnels des gains de productivité sans dégrader pour autant leur rôle ou intervention. En forte croissance depuis quelques années maintenant, et en parallèle du développement des nouvelles technologies, ce secteur a évidemment été impacté par la crise de la Covid-19, obligeant ses acteurs à se diversifier et à proposer un contenu adapté à la situation.

La crise a accéléré l’arrivée à la maturité des grands acteurs du secteur

L’émergence des grands acteurs et leur association

La crise sanitaire a imposé aux services juridiques des entreprises, mais également aux professionnels du droit, de modifier leurs méthodes et processus de travail, s’adapter pour faire face à cette situation inédite ; ce d’autant plus que la fonction juridique a été moteur durant cette période particulière. Si la numérisation était déjà amorcée avant la crise, cette dernière les a contraints à accélérer le rythme. Les outils de la legaltech se sont avérés indispensables pour affronter cette situation inédite, et les bienfaits seront profitables à moyen et long terme.

Les Legaltech participent à la numérisation du secteur du droit, par le développement de nouvelles fonctionnalités, la création de services spécifiques à la gestion de la crise, digitalisation des processus (signature électronique, data room numérique, plateforme de gestion de projets partagée entre plusieurs acteurs et services de l’entreprise mais aussi génération et automatisation des actes) et deviennent des acteurs incontournables en forte croissance.

En effet, le secteur de la Legaltech bénéficie d’une bonne reprise. L’un des indicateurs, le recrutement, nous montre que certains acteurs du secteur ont su tirer parti de la crise sanitaire pour accélérer leur croissance. Ainsi, cette année, plus de 300 personnes ont déjà été recrutées dans les principales start-ups du droit.

La crise semble accélérer le processus d’arrivée à maturité du secteur avec la disparition des plus petits acteurs et le renforcement des acteurs déjà établis.

Si la création de start-up du droit est effectivement en baisse après avoir connu son pic entre 2015 et 2017, la crise n’a en aucun cas empêché la mise en place de nouveaux partenariats ou lancement d’outils toujours plus performants. Elle a cependant freiné le développement des plus jeunes acteurs qui ont moins su, ou pu, répondre aux besoins du moment tandis que les anciens acteurs, ayant déjà une offre établie, ont pu en profiter pour émerger. Ont survécu et ont tiré profit de la crise les acteurs qui proposaient des solutions en adéquation avec le télétravail et le confinement et qui amélioraient la productivité des juristes.

La crise a alors accru les « inégalités » avec un développement à double vitesse, ralentissant le développement des nouveaux acteurs plus faibles et les empêchant de s’imposer face à ces géants qui en ont, quant à eux, profité pour s’associer. C’est la solution qu’ont privilégié Legalstart et Infogreffe, pour proposer une solution entièrement digitale pour accompagner les entreprises durant la période de confinement. Cette plateforme est le début d’une collaboration à long terme visant à faciliter les démarches administratives et juridiques de tous les professionnels quelle que soit leur activité. Ces deux acteurs disposent des fonds leur permettant de mettre en place ces solutions précieuses et facilitant l’accès aux outils juridiques en les rassemblant sur une même plateforme.

La concentration des levées de fonds

Un autre indicateur du développement des acteurs arrivés à maturité sont les levées de fonds réalisées.  Celles effectuées en 2021 dans le secteur de la legaltech ne sont pas négligeables ; elles cumulent un montant de 60 millions d’euros pour le secteur. Là où les chiffres sont parlant c’est qu’on observe une baisse en volume, le nombre de levées est moins important, mais pas en valeur ; elle est supérieure à 2019 et largement supérieure à 2020, cette année étant celle de la crise la comparaison peut sembler plus pertinente avec 2019. Cette somme s’élevait à 17,8 millions d’euros. Elle s’explique par le fait que certes, peu de legaltechs ont tiré profit de la crise, mais celles qui en ont profité ont effectué des levées de fonds bien plus importantes que précédemment. Les levées de fonds se concentrent davantage sur quelques acteurs.

Le record est détenu par le spécialiste de la signature électronique, Yousign, qui a attiré, à lui seul, la moitié des fonds cette année, 30 millions d’euros en juin 2021. Ensuite, Data Legal Drive, le logiciel de mise en conformité au règlement européen de protection des données a levé 2 millions d’euros en avril 2021 ou encore Leeway, l’outil de gestion des contrats dédiés aux directions juridiques qui a levé 4,2 millions d’euros en mars 2021. Ainsi, la crise a en quelque sorte fait le tri entre les acteurs non-essentiels et au contraire ceux indispensables à la continuité de l’activité pendant cette période exceptionnelle mais également dans le futur, ceux qui sont facteur de productivité. Après avoir été contraints d’utiliser ces outils pendant la crise (visioconférence, signature électronique), les clients sont aujourd’hui conscients de l’aspect pratique et de l’efficacité de ceux-ci ce qui incite les investisseurs à s’intéresser aux projets.

Après la Crise, quelles évolutions pour le secteur ?

L’importance de l’accélération des rapprochements

Maintenant que le secteur entre dans une phase de stabilisation, il serait bénéfique aux entreprises survivantes de se réunir davantage afin de proposer des services plus complets, mais aussi plus performant. En effet si les plus petits acteurs sont amenés à disparaitre, il faut espérer qu’il n’y ait pas de perte de la technologie développée par eux et que des rapprochements puissent permettre de conserver le gain de leur travail.

Cette concentration amorcée des acteurs doit également permettre de « rassurer » les clients finaux qui auront plus de facilité à intégrer un outil porté par une entreprise solide et bien implantée disposant des moyens nécessaires pour répondre aux grands enjeux du tout numérique à savoir d’une part la souveraineté et d’autre part la sécurité.

La France peut se féliciter d’avoir un écosystème actif et offrant un panel de solutions variées, mais également de la frilosité du marché s’agissant des solutions étrangères, essentiellement américaines, qui peinent à se faire une place.

Reste aux grands acteurs émergeants de la Legaltech à réussir le pari de l’exportation, avec une volonté marquée en ce sens. La quatrième édition du baromètre de Wolters Kluwer et Maddyness a retenu que la majorité des legaltechs ne s’adressent encore qu’au marché français (60%) mais que 20% envisagent d’exporter leurs solutions hors de l’hexagone.  L’Europe est un terrain opportun pour concurrencer ce marché américain.  L’uniformisation du droit européen permet aux entreprises de cibler une clientèle plus large et les principaux acteurs du secteur l’ont bien compris, à l’instar d’Hyperlex qui s’est associé à HelloSign l’année dernière, pour le lancement de son offre ISV en Europe et ajouter 21 langages supplémentaires pour compléter le traitement du cycle de vie du contrat proposé à ses clients. Certaines entreprises accompagnent déjà leurs clients à l’étranger, notamment en Espagne ou au Portugal, dont la réglementation se rapproche de la législation française mais prévoient en réalité de s’affranchir des frontières et de l’Union Européenne et de viser une clientèle plus éloignée.

Les avocats et juristes du monde entier ont les mêmes besoins numériques de simplification et d’automatisation des actes comme des processus, il y a donc peu de limites au développement de nos Legaltechs à l’international sur le long terme. Les entreprises les plus matures travaillent déjà avec des clients à l’étranger, comme Gino Legaltech, la start-up spécialisée dans l’automatisation et la gestion du cycle de vie des contrats, qui accompagne depuis longtemps des groupes internationaux comme Imerys, implanté dans une quarantaine de pays, grâce à son internationalisation en Amérique du Nord et du Sud et en Asie.

L’anticipation des nouveaux besoins des directions juridiques

Il faut préciser que la crise a entrainé un ralentissement des cycles de vente. Les entreprises de la legaltech ont souffert indirectement des difficultés économiques dont souffrent leurs entreprises clientes. Mais encore une fois cela n’a pas réellement impacté les legaltech déjà solides qui ont contourné ce problème, comme l’a fait Yousign, qui ne fait pas payer ses clients au nombre de signatures mais un abonnement qui lui assure un revenu, peu importe le nombre de signatures. Il fallait en réalité être « préparé » c’est-à-dire déjà mature dans les outils proposés et dans le business model pour poursuivre sa croissance malgré la crise et la réduction des ventes.

Selon une étude menée par Wolters Kluwer publié en mars 2021 sur la transformation numérique et digitale des directions juridiques dans les années à venir, 80% des organisation juridiques « déclarent que leurs besoins en solutions technologiques ont augmenté à la suite de la pandémie ». Ils anticipent alors une utilisation accrue des technologies pour améliorer leurs processus de travail. C’est alors aux acteurs de la legaltech d’anticiper les nouveaux projets et besoins de leurs clients et de cibler leurs solutions par rapports à ceux-ci. La même étude a établi les principales technologies dans lesquelles les services juridiques ont désormais l’intention d’investir, et 78% des professionnels interrogés ont l’intention d’investir dans des outils de collaboration pour la rédaction et la révision de documents et contrats. Ensuite vient l’automatisation de la création de documents et de contrats (77%) ou encore la gestion du flux de travail et l’automatisation des processus (77% également). Les entreprises qui survivront à la crise auront eu le temps de s’adapter aux nouveaux besoins de leurs clients et de rebondir pour proposer des solutions adéquates, peut-être avec l’aide de leurs concurrents.

 

A rapprocher : Legaltech : les start-ups du juridique en pleine croissance ; 4ème édition du Baromètre 2020 des Legaltech françaises par Wolters Kluwer et Maddyness ; «Avocats et juristes face au futur », étude menée par Wolters Kluwer en mars 2021

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