Le droit moral des auteurs d’œuvre de l’esprit s’invite dans la campagne présidentielle française

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DEGROOTE Fabrice

Associé

Le 4 mars 2022 Eric ZEMMOUR candidat à l’élection présidentiel a été condamné en première instance par le Tribunal Judicaire de PARIS pour avoir atteint au droit moral attaché aux oeuvres de l’esprit qu’il avait utilisés dans son clip d’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle sans l’autorisation des auteurs et des ayants droit concernés.

Alors que cela faisait plusieurs mois que l’on l’attendait, le 30 novembre 2021, Eric ZEMMOUR met fin au suspense en mettant en ligne sur YouTube une VIDEO officialisant sa candidature à l’élection présidentielle.

A réception de cette annonce de candidature les commentaires se sont attachés à relever les atteintes au droit d’auteur et notamment au droit moral des auteurs et ayants droit rattachés à des œuvres principalement audiovisuelles.

Et pour cause.

Ainsi le jour même de la mise en ligne du clip sur la plateforme YouTube le journal Le Monde titrait : « Eric Zemmour candidat à la présidentielle dans un clip qui fait hurler les ayants droit des images » et d’ajouter en intertitre : « Les équipes de campagne du polémiste d’extrême droite n’ont pas jugé bon de demander aux médias et personnalités concernés l’autorisation de diffusion des images insérées dans sa vidéo de candidature ».

En revanche rien sur le programme politique du candidat.

Quatre jours plus tard ce même quotidien relevait que sur les 11 minutes que dure le clip litigieux il y a pas moins de 114 séquences « empruntées » sans autorisation des auteurs et autres ayants droit ce qui représente 39% de la durée du clip.

C’est dans ces conditions que, par ordonnance du 24 décembre 2021, la société GAUMONT, la société EUROPACORP, les réalisateurs Luc BESSON et François OZON, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) ou les ayants droit du réalisateur Henri VERNEUIL et de l’écrivain et scénariste Jacques PREVERT ont été autorisés à faire assigner à jour fixe Eric ZEMMOUR, l’association RECONQUETE ! et François MIRAMONT réservataire du nom de domaine https://lesamisdericzemmour.fr et responsable de l’association éponyme.

Trois mois plus tard alors qu’Éric ZEMMOUR devient candidat officiel pour avoir obtenu les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection « suprême » le Tribunal Judiciaire de PARIS le condamne solidairement avec son parti Reconquête ! et François MIRAMONT, alors responsable de l’association Les Amis de Zemmour, à verser 5 000 euros à chacune des onze parties demanderesse à l’instance pour avoir porté atteinte à leur droit moral.

Qu’est-ce que le droit moral des auteurs et des ayants droit que le Tribunal Judiciaire de PARIS a entendu protéger en condamnant Eric ZEMMOUR ?

A tout fin utile il est important de rappeler que le droit moral est la consécration de la prépondérance des intérêts des auteurs sur leur œuvre. Consécration qui est reconnu internationalement puisque l’article 6 bis, alinéa 1 de la Convention internationale de Berne dispose que « l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation ».

Concrètement, les plaignants en tant qu’auteur ou ayants droit ont considéré que les séquences intégrées dans le clip de campagne était une mutilation de leur œuvre et pour obtenir gain de cause, ils n’ont pas eu à expliquer aux juges en quoi cette altération leur était préjudiciable. La simple constatation de la modification a suffi. Le Tribunal est resté maître de la reconnaissance de la réalité de cette atteinte il n’a pas exigé des plaignants qu’ils expliquent en quoi les modifications des œuvres peuvent être nuisible à leur honneur ou leur réputation et de juger :

« c’est à bon droit qu’ils font valoir que les extraits ayant été utilisés pour accompagner le discours de candidature d’un homme politique, ce comportement porte atteinte au droit au respect de l’œuvre et en constitue une dénaturation dès lors que détournées de leur finalité première, qui est de distraire ou d’informer, les œuvres audiovisuelles ont été utilisées, sans autorisation, à des fins politiques ».

Et de considérer que cette utilisation à des fins politiques caractérise l’attente au droit moral des auteurs ou de leur ayants droit.

Il apparait évident que la personne de Eric ZEMMOUR et les thèses politiques qu’il défend ont été déterminantes dans la motivation des auteurs et des ayant droit de le poursuivre pour atteinte à leur droit moral.

A rapprocher : Article 111-1 du Code la Propriété Intellectuelle

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