Les pièges du droit d’auteur : commander un logotype n’implique pas une libre exploitation

CA Paris, 24 mars 2017, RG n°16/10690

Contrairement à l’idée que se font certains professionnels, le seul fait de commander la création d’un logotype auprès d’une agence de communication n’implique pas le transfert des droits d’auteur sur celui-ci et, partant, une libre exploitation de celui-ci.

Contrairement à l’idée que se font certains professionnels, le seul fait de commander la création d’un logotype auprès d’une agence de communication n’implique pas le transfert des droits d’auteur sur celui-ci et, partant, une libre exploitation de celui-ci.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 24 mars dernier en donne un nouvel exemple (CA Paris, 24 mars 2017, RG n°16/10690).

Revenons sur les faits ayant conduit à cet arrêt.

Les époux H, exploitant sous leur nom personnel une boulangerie, avait commandé au début de l’année 2009, la création d’un logotype auprès d’une agence spécialisée en communication, la société T dont la gérante, Mme D., réalise les œuvres. Leur activité s’est ensuite développée et ils ont ouvert trois nouvelles boulangeries exploitées par trois sociétés distinctes sous la même enseigne.

En 2013, après avoir adressé une mise en demeure, la société T et sa gérante ont assigné les trois sociétés en contrefaçon de leurs droits d’auteur après avoir pris connaissance de l’exploitation, par celles-ci, du logotype dont elles considéraient qu’il avait été créé à seule fin de personnaliser des boîtes pâtissières et pour le seul compte des époux H.

Insatisfaites de la position adoptée par le Tribunal de Grande instance de Paris, la société T et Mme D. ont relevé appel. L’originalité du logo, et donc sa protection par le droit, n’était pas contestée, la Cour devait donc se prononcer sur la titularité des droits d’auteur et l’existence d’une contrefaçon.
 

  • Concernant la titularité des droits d’auteur

La titularité des droits d’auteur de Mme D. était contestée. A cette fin, les sociétés poursuivies en contrefaçon, ont tenté d’obtenir la qualification d’œuvre collective. L’intérêt de cette qualification réside dans le régime spécifique de cette œuvre prévu par l’article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel « Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé » : dans cette circonstance, point besoin de cession de droits puisque, dès l’origine, les droits naissent sur la tête de la personne qui répond aux conditions prévues par ce texte, c’est-à-dire qui en est à l’origine, la supervise et l’exploite.

En pratique, ce sont souvent les sociétés qui recherchent cette qualification car il s’agit de la seule hypothèse dans laquelle une personne morale peut être titulaire – ab initio –  de droits d’auteur. Dans cette affaire, ce n’était pas le cas puisque les sociétés poursuivies cherchaient à faire établir cette qualification en faveur des époux H qui, en 2009, avait commandé le logotype.

La Cour va rejeter la qualification d’œuvre collective et considérer que Mme D. justifie de ses droits d’auteur. Pour cela, les juges vont se fonder sur une analyse circonstanciée de l’intervention de celle-ci, et s’attacher à caractériser : ses choix artistiques nonobstant les instructions données, l’individualisation et l’identification de ses interventions. Les juges vont également relever que si Mme D. soumettait son travail tout au long de sa réalisation aux époux H., il s’agissait de rechercher leur assentiment mais cela ne constituait pas une participation au travail de création.

Le seul fait d’avoir commandé la création du logo, d’avoir donné des instructions sur sa réalisation et d’avoir été régulièrement avisé de l’évolution de la création, n’est pas suffisant à caractériser l’existence d’une œuvre collective d’autant moins lorsque, comme en l’espèce, une personne unique est intervenue lors de la création.
 

  • Concernant la cession des droits d’auteur

Faute de disposer des droits d’auteur ab initio, ceux-ci ne peuvent être détenus qu’en vertu d’une cession de droits.

Sur ce point, la Cour va reprendre des solutions connues qu’il n’est pas inutile de rappeler.

L’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Selon une jurisprudence constante, le formalisme prévu par ce texte ne concerne que les relations entre l’auteur – qui est protégé par ce texte – et les tiers. En l’espèce, il n’avait donc pas vocation à s’appliquer dans le cadre de la cession, dont l’existence était discutée, entre la société T. et les époux H. (en revanche, en amont, il aurait pu s’appliquer dans la relation entre l’auteur, Mme D., et la société T.).

Ce formalisme n’étant pas imposé, il convenait néanmoins de rapporter la preuve de la cession en recherchant la commune intention des parties.

Dans ce cadre, les juges vont examiner les échanges intervenus entre les parties, lesquelles n’avaient formalisé aucun contrat. La facture, émise par la société T., ne comportait aucune mention de cession de droits d’auteur, en outre, les échanges entre les parties ne faisaient aucune référence à un projet d’exploiter le logo pour plusieurs boulangeries, ce que les époux H. reconnaissaient. Dans ces conditions, les juges d’appel vont décider que la commune intention des parties avaient été de créer un nouveau logotype pour le fonds de commerce exploité par les époux H. et seulement pour celui-ci.
 

  • Concernant la contrefaçon

Après avoir considéré que Mme D. était titulaire des droits d’auteur et que ceux-ci n’avaient pas été cédés, les juges vont s’attacher à caractériser la commission d’actes de contrefaçon, laquelle découlait, en l’espèce, de l’exploitation du logotype, sans autorisation, par les trois sociétés poursuivies en contrefaçon sur leur enseigne, des emballages, des sacs et sachets.

Cette décision, qui n’apporte aucun élément nouveau sur le fond, est donc l’occasion de rappeler l’importance qui s’attache à formaliser une cession de droits d’auteur sur les créations qui vont être exploitées à titre commercial, tels que les logos. En effet, le seul fait d’avoir passé commande à une agence ne suffit pas à détenir l’ensemble des droits d’exploitation de la création.

Dans ce cadre, une attention particulière devra être portée à la rédaction de l’acte de cession pour s’assurer que le futur exploitant va disposer des droits lui permettant d’exploiter la création sur différents supports, à toutes fins utiles et en tous lieux pertinents. Cette cession devra s’accompagner également de garanties suffisantes pour permettre au cessionnaire d’exploiter paisiblement la création qu’il a commandée et de pouvoir, le cas échéant, se retourner contre le cédant dans l’hypothèse où des tiers viendraient à formuler des revendications.

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