Marque “GIANT” : signe distinctif, évocateur ou descriptif ?

Cass. com., 8 juin 2017, pourvoi n°15-20.966

La frontière entre le signe distinctif – protégeable – le signe descriptif – non protégeable – est soumise à l’appréciation des juges du fond guidés par des règles rappelées par la Cour de cassation.

Ce qu’il faut retenir : La frontière entre le signe distinctif – protégeable – le signe descriptif – non protégeable – est soumise à l’appréciation des juges du fond guidés par des règles rappelées par la Cour de cassation.

Pour approfondir : Lors du choix d’une marque, il faut tenir compte tout à la fois de la dimension marketing mais aussi des contraintes juridiques. En effet, le Code de la propriété intellectuelle pose les conditions que doit remplir un signe pour constituer une marque valable. Au premier rang de ces conditions, se trouve l’exigence du caractère distinctif du signe.

Cette condition va de soi : dès lors que la marque a pour fonction d’identifier l’origine d’un produit ou d’un service en le distinguant de ceux des concurrents, le signe choisi comme marque doit, pour remplir cette fonction, être suffisamment arbitraire par rapport aux produits et services désignés.

L’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose: « Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif : a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ; b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ; c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle. Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage. ».

Le point b) vise, en particulier, ce que l’on appelle les signes descriptifs, ceux qui doivent rester à la disposition de tous les acteurs du marché parce qu’ils décrivent les caractéristiques des produits et services désignés dans le dépôt de la marque. Au fil des années, la jurisprudence tant européenne que française a donné les lignes directrices d’appréciation du caractère distinctif d’un signe et de sa faculté à constituer une marque valable. Pourtant, tout n’est pas aussi limpide comme en témoigne l’affaire « Giant » dans laquelle les décisions de première instance ont adopté des positions différentes et qui vient de donner lieu à un arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 8 juin 2017, pourvoi n°15-20.966).

Dans cette affaire, la société QUICK, titulaire de la marque GIANT pour désigner des produits relevant des classes 29 et 30, et exploitée pour désigner un des hamburgers de l’enseigne, estimait qu’une société avait commis des actes de contrefaçon en déposant et utilisant un signe composé de trois termes dont le mot GIANT pour désigner, également, des produits alimentaires. Celle-ci a soulevé la nullité de la marque prétendument contrefaite en faisant valoir que l’adjectif GIANT, pour des produits alimentaires, tend à mettre en exergue leurs dimensions et quantités importantes, et à informer le consommateur sur les qualités du produit qui lui sont ainsi proposées. En première instance, les juges du Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 24 octobre 2013, RG n°12/10515) ont prononcé la nullité de la marque GIANT, en adoptant le raisonnement qui leur était soumis par le défendeur. Le Tribunal a ainsi considéré que : « Le mot GIANT est un adjectif anglais signifiant géant ou encore énorme en langue française. Il doit être relevé avec la défenderesse que ce terme, du fait notamment de sa proximité avec l’adjectif français géant, est très facilement compris par le consommateur français, habitué par ailleurs au recours à des mots anglais notamment dans le domaine du commerce et surtout dans le domaine des fast-food, d’origine anglo-saxonne. En outre, dans le domaine des produits alimentaires, il est courant d’utiliser des adjectifs qui décrivent la caractéristique mise en avant, notamment s’agissant des quantités importantes ou réduites. En l’espèce, le terme GIANT a vocation à désigner la dimension importante de l’aliment et ne sera perçu que comme tel par le consommateur. En conséquence, le terme GIANT est dépourvu de toute distinctivité ».

La motivation du jugement établissait ainsi que le terme ne pouvait pas être monopolisé pour permettre à chacun d’utiliser cet adjectif.

La Cour d’appel a néanmoins adopté une position différente et jugé, au contraire, que la marque en cause est suffisamment distinctive : « Considérant que le mot anglais « giant » par sa proximité linguistique avec son équivalent en langue française, était à la date du dépôt de la marque GIANT le 14 juin 2006 compris du consommateur francophone comme signifiant géant et par extension, énorme ; qu’il s’ensuit que ce terme suggère, d’une manière générale et impersonnelle pour l’ensemble des produits et services visés, la dimension particulièrement importante de la portion des produits ou l’importance des services exploités sous ce signe ; considérant que le fait qu’une entreprise souhaite ainsi conférer une image positive à ses produits ou services, indirectement et de façon abstraite, sans pour autant informer directement et immédiatement le consommateur de l’une des qualités ou des caractéristiques déterminantes des produits ou services concernés, relève de l’évocation et non de la désignation au sens de l’article L.711-2 sous b) ».

Ainsi, pour les juges d’appel, la marque présentait simplement un caractère évocateur mais suffisant pour remplir la condition de distinctivité et donc être valable. Or, pour aboutir à cette conclusion, les juges se sont référés aux caractéristiques « déterminantes ».

C’est sur ce point que l’arrêt va être cassé par la Haute Cour en ces termes : « Qu’en statuant ainsi, alors que sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique des produits ou services couverts par la marque et qu’il est indifférent que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d’être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La Cour de cassation rappelle ainsi que, dans l’appréciation qu’ils portent, les juges ne doivent pas s’arrêter au point de savoir si ce sont des caractéristiques essentielles ou non essentielles qui sont désignées par le signe, dans ces deux cas il ne peut constituer une marque valable.

De nouveaux juges d’appel devront donc examiner la question de la validité de la marque GIANT en tenant compte de cette règle d’interprétation.

A rapprocher : Article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle

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