Les créations publicitaires et les enjeux de la cession des droits d’auteur

CA Paris, 13 mai 2016, RG n°15/03741

Cette décision permet de rappeler l’importance de la rédaction des clauses organisant les modalités d’exploitation des créations commandées. Ces clauses doivent intégrer au mieux les besoins du client, anticiper les exploitations à venir, et être suffisamment claires pour éviter d’avoir à s’en remettre à une interprétation ultérieure, par nature aléatoire…

Ce qu’il faut retenir : Cette décision permet de rappeler l’importance de la rédaction des clauses organisant les modalités d’exploitation des créations commandées. Ces clauses doivent intégrer au mieux les besoins du client, anticiper les exploitations à venir, et être suffisamment claires pour éviter d’avoir à s’en remettre à une interprétation ultérieure, par nature aléatoire. Ici, la clause de cession des droits d’auteur n’était pas assez claire, ce qui a conduit le juge à interpréter sa portée.

Pour approfondir : Le droit d’auteur ne trouve pas seulement à s’exprimer dans le domaine artistique pur et il est particulièrement important dans la vie des affaires. Il pourra, par exemple, appréhender les produits commercialisés par une entreprise (leur forme, leur packaging, etc.) ou les supports de communication et publicitaires.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 13 mai 2016 (CA Paris, 13 mai 2016, RG n°15/03741), est l’occasion de revenir sur les enjeux qui s’attachent à une rédaction habile des contrats encadrant la relation avec les prestataires auxquels ont recours les entreprises pour leur campagne de communication et la publicité. En effet, il est essentiel pour le client de disposer des droits d’exploitation lui permettant de s’assurer que celle-ci ne l’expose pas à une réclamation ultérieure du prestataire auquel il a eu recours.

En l’espèce, une société fabriquant et commercialisant des produits ménagers, distribués notamment aux USA par l’intermédiaire d’un partenaire, avait eu recours à une agence de publicité pour l’élaboration de ses campagnes incluant un film.

Un contrat avait été conclu pour formaliser cette mission comportant une clause de transmission des droits d’auteur permettant, a priori, une exploitation libre et suffisamment large pour couvrir les besoins de la société. Ultérieurement, l’agence a pris connaissance de la diffusion d’un film très proche du sien pour promouvoir les produits distribués par le partenaire de son client aux USA.

Considérant que le contrat avait été méconnu et que ses droits étaient en conséquence méconnus, l’agence a engagé une action en contrefaçon de ses droits d’auteur sur le film à l’encontre de son client (nous ne nous attarderons pas ici sur la question de la compétence du juge français qui, contestée, a néanmoins été admise).

Le débat était en particulier concentré sur la portée de la clause de cession des droits d’auteur stipulant « l’agence cède l’ensemble de ses droits d’auteur et patrimoniaux à l’annonceur et à ses filiales qui s’engagent à utiliser les créations de l’agence en conformité avec la législation en vigueur en matière de propriété intellectuelle … que l’annonceur et ses filiales en qualité de cessionnaires des droits d’auteur sont investis des droits d’auteur et notamment des droits d’usage de reproduction, d’adaptation et de représentation sur tous supports, dans tous les pays et pour toute la durée de protection des œuvres par le droit d’auteur ». Alors que cette clause ne comportait pas de restriction territoriale, la clause traitant des modalités financières de cette cession prévoyait qu’en contrepartie, la rémunération de l’agence consistait en un pourcentage des investissements médias dépensés en Europe par les filiales de l’annonceur dont la liste, annexée au contrat, mentionnait des pays tous situés sur le territoire européen.

Les juges ont considéré que le contrat comportait une ambiguïté sur la portée territoriale de l’autorisation et ont en conséquence interprété le contrat. A cette fin, ils ont pu tenir compte du fait que (i) l’appel d’offres initial comportait l’indication de sept pays (n’incluant pas les USA) et visait également le développement au niveau européen, et que, (ii) par la suite, le client avait expressément sollicité l’autorisation de l’agence pour l’exploitation du film dans d’autres pays que ceux où se situaient ses filiales européennes.

Dans ces conditions, les juges ont considéré que la clause litigieuse du contrat devait être interprétée dans le sens où la cession des droits portait sur l’exploitation de l’œuvre dans tous les pays visés par l’accord et non pas dans le monde entier, la clause de rémunération de l’agence ne pouvant être interprétée comme valant cession de droits d’auteur à titre gratuit pour l’exploitation du film dans les autres pays que ceux dans lesquels l’annonceur a des filiales.

Cette décision est l’occasion de rappeler toute l’importance d’une rédaction habile des clauses organisant les modalités d’exploitation des créations commandées. Ces clauses doivent en effet intégrer au mieux les besoins du client, anticiper suffisamment sur les exploitations à venir et être suffisamment claires pour éviter d’avoir à s’en remettre à une interprétation ultérieure.

Les enjeux financiers liés à l’exploitation de créations et les conséquences attachées aux risques de se voir condamné pour avoir outrepassé les termes d’une autorisation d’exploitation de droits d’auteur inadaptée, permettent de prendre la mesure de l’importance de traiter efficacement les questions de propriété intellectuelle.

A rapprocher : Cass. civ. 1ère, 30 mai 2012, pourvoi n°10-17.780, et notre commentaire

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