Idée non protégeable ou œuvre de l’esprit

CA Paris, 12 février 2016, RG n°15/07759

Un concept doit être décrit avec un degré de précision suffisant pour accéder au rang d’œuvre objet de droits d’auteur permettant de s’opposer ensuite à la réalisation d’une émission qui en reprendrait les éléments.

Ce qu’il faut retenir : Un concept doit être décrit avec un degré de précision suffisant pour accéder au rang d’œuvre objet de droits d’auteur permettant de s’opposer ensuite à la réalisation d’une émission qui en reprendrait les éléments.

Pour approfondir : L’affaire opposait une chaîne de radio nationale à qui une personne faisait grief d’avoir repris le concept d’émission qu’elle lui avait soumis auparavant. Elle exposait qu’après avoir mis un terme à leurs pourparlers, la radio a produit et diffusé une émission hebdomadaire reprenant les éléments essentiels de son concept. Pour tenter de rapporter cette preuve, elle a fourni l’enveloppe Soleau déposée en amont et contenant la description de son concept, ainsi que le document adressé à ses interlocuteurs intitulé projet de partenariat.

Elle engagea en conséquence une action en contrefaçon de droit d’auteur sur le concept, et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la concurrence déloyale ou parasitaire.

La Cour va rejeter ses prétentions sur chacun de ces fondements.

1/ Sur le fondement du droit d’auteur

L’appelante faisait valoir que son concept d’émission de radio, matérialisé dans le dépôt d’une enveloppe Soleau et la rédaction d’un document intitulé « Projet de partenariat », ferait l’objet de droits d’auteur car ils comprennent l’idée, le titre et la configuration du programme et serait donc élaboré (pour dépasser le stade de la simple idée). En outre, son idée de décliner pour la radio les rubriques d’un magazine était nouvelle et les caractéristiques originales de son concept d’émission étaient décrites dans l’enveloppe Soleau qu’elle avait pris la précaution de déposer justifiant ainsi de son antériorité. Ce concept ayant été repris, il s’agirait d’actes de contrefaçon.

La Cour, après avoir rappelé le principe selon lequel pour faire l’objet de droits d’auteur une œuvre doit s’incarner dans une forme et révéler une activité créatrice (condition distincte de la nouveauté) va examiner le détail de la description du concept figurant dans l’enveloppe Soleau et le projet de contrat de partenariat.

A l’issue de cet examen, la Cour va considérer que faute de précision suffisante quant aux éléments caractéristiques essentiels de l’œuvre future appelée à se répéter au fil des diffusions de l’émission, ce projet ne dépasse pas le stade d’un simple canevas :

  • ces documents introduisent des indications sur la périodicité, la durée de chroniques pré-enregistrées ou ce qui pourrait constituer un titre en esquissant les thématiques susceptibles d’être abordées, ils ne décrivent pas à suffisance les éléments essentiels du concept évoqué,
     
  • il s’agit d’indications a minima qui ne décrivent pas le déroulement formel de l’émission, le découpage et l’enchaînement des séquences ou encore le style et la tonalité particulière induite par l’intervention des participants.

Les juges considèrent ainsi que l’appelante ne peut valablement revendiquer un monopole sur cette forme insuffisamment structurée et par trop imprécise pour être considérée comme dotée de caractéristiques lui permettant d’accéder au statut d’œuvre protégeable objet de droits d’auteur.

2/ Sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire

La cour va successivement rejeter les griefs formulés tant sur le fondement de la concurrence déloyale que sur le fondement du parasitisme.

La Cour rappelle que la reproduction ou l’imitation d’une création qui ne fait pas l’objet de droits privatifs ne constitue pas, en soi, une faute, sauf à reconstituer de façon détournée un monopole. Pour cette raison, la déloyauté doit ressortir d’un fait distinct du seul emprunt, preuve que ne rapporte pas l’appelante. Aussi, les juges considèrent que les reprises invoquées ne peuvent être retenues et affirment que M. W ne « saurait s’arroger un monopole sur l’idée de créer une synergie entre un titre de presse et une station de radio ». Cette motivation reprend des solutions entérinées depuis longtemps.

L’appelante n’aura pas davantage de succès sur le fondement du parasitisme qui nécessite non pas la démonstration d’un risque de confusion, mais celle du détournement d’une valeur économique substantielle. A nouveau, selon les juges, la preuve n’est pas rapportée. Ils considèrent en effet que les composantes du concept dont se prévaut l’appelante sont trop peu structurées ou banales car elles reprennent les lois du genre ou font appel à la simple idée de partenariat, ce qui ne permet pas d’établir un détournement du travail intellectuel ni des investissements engagés.

A rapprocher : CA Paris, 3 septembre 2014, RG n°11/08255

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