Recours administratif à l’encontre d’un brevet d’invention : publication de l’ordonnance n°2020-116

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BOUNEDJOUM Amira

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Ordonnance n°2020-116 du 12 février 2020 portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention

Le 13 février 2020, a été publiée au Journal Officiel l’ordonnance n°2020-116, adoptée la veille et portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention délivrés par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI).

Tel que prévu par l’article 121 de la loi PACTE du 22 mai 2019, cette ordonnance donne aux tiers la possibilité d’introduire un recours administratif auprès de l’INPI à l’encontre d’un brevet d’invention en vue d’en demander la modification ou la révocation. L’ordonnance entrera en vigueur au 1er avril 2020, ses dispositions n’étant applicables qu’aux brevets d’invention publiés au Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle (BOPI).

***

Jusqu’à présent, seule une action en nullité auprès du tribunal de grande instance permet de s’opposer à un brevet délivré par l’INPI. Cette action est particulièrement contraignante tant elle suggère des coûts importants, l’intervention de plusieurs acteurs et des délais longs et non maitrisables. Elle s’est ainsi révélée de nombreuses fois comme un obstacle pour les acteurs économiques les plus faibles, comme les chercheurs indépendants, les TPE, PME et les start-ups.

L’article 121 de la loi PACTE a instauré un nouveau droit d’opposition aux brevets d’invention délivrés par l’INPI pour permettre aux tiers de demander par voie administrative la révocation ou la modification d’un brevet. Ce nouveau droit vise à mettre en place une procédure simplifiée dont les coûts (moindres) et les modalités devaient être précisés par voie d’ordonnance.

C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 12 février 2020 met fin à cette situation défavorable pour les inventeurs. En créant un droit d’opposition à l’encontre des brevets d’invention, elle marque le début d’une ère nouvelle permettant aux tiers de faire valoir leurs droits de propriété industrielle dans le cadre d’une procédure administrative simple et peu couteuse. Si le champ d’application de ce nouveau droit est limité aux seuls brevets d’invention, à l’exclusion des autres titres de propriété industrielle protégeant les inventions, comme le certificat d’utilité et le certificat complémentaire de protection, la sécurité juridique conférée aux tiers n’en est pas moins accentuée.

L’ordonnance compte trois chapitres et huit articles, le premier modifiant les livres IV et V du Code de la propriété intellectuelle, le second s’intéressant aux mesures d’application et d’adaptation pour l’outre-mer et le dernier détaillant les dispositions transitoires et finales. Dès l’entrée en vigueur de cette ordonnance, le 1er avril 2020, les missions de l’INPI se verront renforcées et une nouvelle obligation pèsera sur les épaules de son directeur général. Ce dernier aura la responsabilité de statuer sur les demandes d’opposition que les tiers pourraient former à l’encontre des brevets d’invention. Ce droit pourra être exercé par toute personne, à l’exception du titulaire du brevet, sans que sa mise en œuvre ne soit soumise à un intérêt à agir (article L.613-23 modifié du Code de la propriété intellectuelle). L’idée est de permettre aux tiers de s’opposer, sur tout ou partie du brevet, au monopole d’exploitation du titulaire sur son invention.

L’opposition doit nécessairement reposer sur l’un des motifs énoncés à l’article modifié L.613-23-1 du Code de la propriété intellectuelle, à savoir le défaut de brevetabilité de l’invention, la faiblesse de la description qui ne permet pas à un homme du métier de pouvoir l’exécuter, l’extension de l’objet au-delà du contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée.

Au cours de la procédure d’opposition, l’ordonnance reconnait au titulaire du brevet la possibilité de modifier son titre afin de se mettre en conformité avec les revendications, sous réserve de respecter les conditions posées par le texte et qui seront codifiées au nouvel l’article L.613-23-3 du Code de la propriété intellectuelle.

La procédure d’opposition, aux termes du nouvel article L.613-23-2 du Code de la propriété intellectuelle, comprend une phase d’instruction et est contradictoire.

La décision du directeur général de l’INPI aura les effets d’un jugement, à préciser que le silence de ce dernier et de l’INPI vaudra rejet de la demande d’opposition. Le directeur général aura le choix de la décision et pourra soit rejeter la demande – ce qui implique que le titre soit conservé tel que délivré –, soit y faire droit. S’il décide de recevoir la demande, le directeur général pourra révoquer le brevet dans son intégralité ou simplement partiellement, auquel cas le titulaire du brevet sera renvoyé devant l’INPI afin qu’il demande la modification de son titre pour se conformer à la décision.

Cette demande ne sera recevable que si la décision statuant sur la décision est insusceptible de recours ; le directeur général aura la possibilité de la rejeter pour défaut de conformité à la décision de révocation partielle.

Le nouvel article L.613-23-6 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit ces hypothèses précise que la décision de révocation a un effet absolu et rétroactif à la date de dépôt de la demande de brevet.

Concernant les frais de procédure, l’article L.613-23-5 du Code de la propriété intellectuelle indique que chaque partie supporte les frais qu’elle a exposés, bien que le directeur général de l’INPI puisse décider d’une répartition différente.

Enfin, l’ordonnance modifie les articles L.613-24 et L.613-25 du Code de la propriété intellectuelle qui, respectivement, articulent les procédures d’opposition et de limitation des brevets et ajoutent aux motifs de nullité d’un brevet l’hypothèse de l’extension de la protection conférée par le titre à la suite d’une décision statuant sur une opposition.

La création de ce droit d’opposition aux brevets d’invention s’inscrit dans le cadre des actions de modernisation du système français de propriété industrielle prévues par la loi PACTE du 22 mai 2019, dont l’objectif est de conforter la qualité des brevets français, et ainsi de renforcer l’attractivité de la France pour le dépôt de titre de propriété intellectuelle. L’ordonnance permet d’accorder le droit français avec les pratiques des autres offices de propriété industrielle en Europe et dans le monde, et avant tout sur celles de l’Office Européen des Brevets qui prévoyaient déjà des recours administratifs à l’encontre de brevets d’invention.

L’ordonnance entrera en vigueur le 1er avril 2020 et s’appliquera à tous les brevets d’invention dont la mention de délivrance a été publiée au BOPI à compter de cette date. La procédure d’opposition, les conditions d’exercice du droit et les délais seront précisés par un décret, très attendu, du Conseil d’Etat.

A rapprocher : Article 121 de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE ; Ordonnance n°2020-116 du 12 février 2020 portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention

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